Plus de 130 parlementaires contre l'accord de libre-échange UE-Mercosur

 PLUS DE 130 PARLEMENTAIRES DE 13 PAYS EUROPÉENS CONTRE L'ACCORD UE-MERCOSUR


Mme Ursula von der Leyen

Présidente de la Commission européenne

Rue de la Loi 200

1049 Bruxelles

Bruxelles, 17 novembre 2024

Objet: Accord de libre-échange UE-Mercosur

Madame la Présidente,

Nous, soussignés députés européens et nationaux, vous écrivons pour vous exhorter à mettre fin aux négociations de l'accord commercial UE-Mercosur.

En négociation depuis 1999, cet accord éliminera plus de 90% des droits de douane dans le but de stimuler les flux commerciaux entre l'Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay, Bolivie). Avec 720 millions d'habitants dans ces deux régions, il s'agit de loin de l'accord le plus important à ce jour en termes de population concernée. Les dommages qu'il entrainera sur les économies locales, l'agriculture, l'environnement et la santé publiqueseront également sans précédent.

Les agriculteurs payeront un lourd tribut puisqu'ils seront exposés à une concurrence déloyale accrue de la part des exploitations agricoles géantes du Mercosur. Selon la dernière version connue du texte, le Mercosur pourra, entre autres, exporter chaque année vers l'UE des quotas supplémentaires de 99 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de volaille, 25 000 tonnes de porc, 35 000 tonnes de fromage, 190 000 tonnes de sucre et 45 000 tonnes de miel.Ces nouvelles importations à prix réduits viendront s'ajouter aux quotas convenus dans le cadre d'autres accords de libre-échange, exerçant une pression supplémentaire sur les agriculteurs européens qui ont déjà des difficultés à vivre de leur métier.

Cette concurrence déloyale est renforcée par l'écart réglementaire entre les deux régions, les producteurs du Mercosur n'étant pas tenus de respecter les mêmes normes que ceux de l'Union européenne en matière d'utilisation de pesticides, d'OGM et de pratiques d'élevage. Par exemple, prés d'un tiers des pesticides utilisés au Brésil sont interdits dans l'UE pour des raisons sanitaires ou environnementales. Jusqu'à présent, la Commission a balayé d'un revers de main les inquiétudes sur de potentiels risques sanitaires en affirmant que tous les produits entrant sur le territoire de l'UE devaient être conformes aux normes européennes. Néanmoins, l'accord promeut en réalité des contrôles aux frontières moins rigoureux et moins fréquents sur les marchandises importées, ce qui rend de facto impossible de soutenir de telles affirmations.

Par ailleurs, la logique d'importer une part toujours plus importante de notre alimentation depuis l'autre bout du monde est en elle-même hautement problématique. Non seulement cela perturbera l'agriculture paysanne des deux côtés de l'Atlantique, mais cela rend également l'UE plus dépendante des chaînes d'approvisionnement mondialisées pour répondre aux besoins fondamentaux de sa population. Il est clair que I'UE devrait plutôt donner la priorité à la relocalisation de son agriculture et de sa production alimentaire.

 En outre, l'accord est fondamentalement en contradiction avec tous les engagements de l'UE en matière de climat, de biodiversité et de protection de l'environnement. Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), l'agriculture est responsable de 22% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). L'accord encouragera précisément les productions agricoles fortement émettrices de GES, comme l'élevage, et développera les monocultures qui jouent un rôle majeur dans la déforestation, comme la canne à sucre pour fabriquer de l'éthanol que l'UE importera à hauteur de 650 000 tonnes supplémentaires par an. À l'heure où nous écrivons ces lignes, la région amazonienne est confrontée à des incendies d'une ampleur inédite depuis des décennies. Depuis le début de l'année, une forêt de la taille de la Biélorussie a déjà été réduite en cendres. Or, les données scientifiques montrent clairement que ces incendies sont exacerbés par la déforestation intensive et le changement d'affectation des sols, principalement causés par l'agro-industrie. Malgré cela, la Commission a décidé de reporter d'un an la mise en œuvre du règlement européen sur la déforestation. En outre, les émissions de gaz à effet de serre dérivées du transport international par cargos, avions et camions augmenteront intrinsèquement en raison de l'accroissement des flux commerciaux.

Enfin, la signature de l'accord UE-Mercosur est un coup majeur porté à la démocratie. La Commission et les États membres avaient jugé impossible de signer l'accord tant que l'ancien président brésilien d'extrême droite et climatosceptique Jair Bolsonaro était au pouvoir. Cependant, ils sont maintenant prêts à approuver le même accord sous le mandat du président argentin Xavier Milei, dont le bilan en matière de démocratie, de droits de l'homme et de protection de l'environnement depuis son élection est tout aussi problématique. En outre, un déficit démocratique persistant a été constaté tout au long des négociations, dont le contenu a été largement dissimulé aux citoyens, aux organisations de la société civile et aux membres du Parlement européen. A ce jour, aucun texte complet et actualisé de l'accord n'a été rendu public, et les versions précédentes n'ont été disponibles qu'il y a plusieurs années grâce à des fuites provoquées par les ONG. En tant que représentants élus, nous ne pouvons accepter ni l'érosion de notre rôle dans le contrôle démocratique ni l'exclusion des citoyens d'une décision aussi importante. Il est également de notoriété publique que la Commission envisage de séparer la partie commerciale de l'accord de la partie politique afin de modifier le processus de ratification et de contourner la ratification par les parlements nationaux. Ce déficit démocratique est d'autant plus choquant que les conséquences sociales et écologiques de l'accord sont considérables.

L'accord entre l'Union européenne et le Mercosur est un désastre d'un point de vue social, écologique, sanitaire et démocratique. Il est encore temps pour la Commission européenne de le reconnaître et de rechercher d'autres formes de coopération commerciale avec les pays du Mercosur. Nous vous demandons donc de renoncer sans plus tarder à la conclusion de cet accord.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, l'expression de nos salutations distinguées.

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