Lettre de Mathilde Panot au président du Conseil Constitutionnel
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE LIBERTÉ ÉGALITÉ - FRATERNITÉ
ASSEMBLÉE NATIONALE
Mathilde PANOT
Présidente du groupe La France Insoumise NFP Députée du Val-de-Marne
Monsieur Laurent FABIUS
Président du Conseil Constitutionnel
2 rue de Montpensier
75001. Paris
Paris, le 10 décembre 2024
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Le ministère de l'Intérieur a indiqué lundi 9 décembre «travailler sur une suspension des dossiers d'asile en cours provenant de Syrie», après la chute du régime de Bachar al-Assad. Une telle prise de position politique de la part d'un ministre démissionnaire nous paraît problématique et grave. D'une part, le ministre de l'Intérieur n'est pas compétent pour "suspendre" les dossiers d'asile. Cette compétence exclusive revient à l'Office Français des réfugiés et apatrides au titre de l'article L. 424-15 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui, selon l'article L. L121-7 du même code, statue en toute indépendance. Ainsi, l'annonce du ministre démissionnaire de l'Intérieur dépasse outrageusement le cadre de ses compétences légales.
D'autre part, dans la mesure où le ministre en charge de l'immigration peut déterminer les politiques publiques en la matière, il ne saurait en être compétent en situation démissionnaire. Le gouvernement de Michel Barnier a été censuré le mercredi 4 décembre 2024, et selon l'interprétation du Conseil d'État dans sa décision du 19 octobre 1962 Brocas, celui-ci est démissionnaire à la date du vote de la motion de censure. Le gouvernement démissionnaire, bien que n'ayant pas de statut juridique clairement établi, ne saurait, sous l'empire de la jurisprudence du Conseil d'État, agir au-delà de la seule "expédition des affaires courantes". Cette interprétation du Conseil d'État encadre les compétences d'un gouvernement démissionnaire, ce dernier étant principalement limité à ses compétences liées ainsi qu'aux affaires urgentes, dont l'adoption immédiate est dictée par une impérieuse nécessité. Or, les prises de positions de Bruno Retailleau, actuel ministre de l'Intérieur démissionnaire, nous paraissent dépasser largement le cadre de ses compétences liées.
Ces annonces s'inscrivent dans un contexte politique instable depuis les élections législatives anticipées de juillet 2024. La longévité exceptionnelle et injustifiée du gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal cet été oblige à la clarté juridique du champ d'action d'un tel gouvernement dont les compétences limitées sont dictées par le respect de la séparation des pouvoirs, tel qu'organisé par la Constitution de la Ve République, au titre duquel le gouvernement est responsable devant l'Assemblée nationale. Cette responsabilité doit avoir des conséquences juridiques et limiter l'opportunité d'action du gouvernement démissionnaire. Enfin, considérant que les affaires courantes sont nécessaires à la garantie de la continuité de l'État et des services publics, l'action gouvernementale ne saurait dépasser cette seule continuité au risque de remettre en cause l'expression de la volonté générale exprimée par le vote favorable d'une motion de censure.
Votre Conseil est une institution garante de l'application des règles constitutionnelles et des principes fondamentaux qui régissent notre État de droit. Nous pensons ainsi impérieux de porter à votre connaissance l'ensemble de ces éléments qui témoignent de pratiques délétères et dangereuses pour la garantie de la séparation des pouvoirs.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en l'expression de nos salutations républicaines.
Mathilde Panot
Députée du Val-de-Marne
Présidente du groupe La France Insoumise NFP
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